Dissolution : « L’absence de majorité claire est le scénario le plus probable » (2024)

Pour Le Point, le fondateur de Cluster 17, Jean-Yves Dormagen, nous explique les ressorts de la large victoire du RN dimanche soir. Il revient égalementsur les raisons de l'élection d'Emmanuel Macron avantl'érosion rapide de sa base électorale. Cepari fou de la dissolution va-t-il fonctionner? Et le patron de l'institut depasser en revue l'écroulement desvotes pour les partis traditionnels, la mort annoncée du front républicain, la stratégie clivante de La France insoumise avant d'émettre des hypothèses pour ces élections législatives à très haut risque.

La newsletter politique

Tous les jeudis à 7h30

Recevez en avant-première les informations et analyses politiques de la rédaction du Point.

Merci !
Votre inscription a bien été prise en compte avec l'adresse email :

Pour découvrir toutes nos autres newsletters, rendez-vous ici : MonCompte

En vous inscrivant, vous acceptez les conditions générales d’utilisations et notre politique de confidentialité.

Le Point: Avez-vous été surpris par le résultat de ces élections européennes?

Jean-Yves Dormagen: Pour être honnête, aucun résultat ne m'a véritablement étonné par rapport aux attentes que les sondages permettaient d'avoir. Avec du recul, les niveaux aussi élevés atteints par le Rassemblement national et le score extrêmement bas de la liste présidentielle sont très impressionnants, voire inquiétants pour certains. Si on m'avait donné ces chiffres il y a un an ou six mois, j'aurais été surpris.

Maisles enquêtes d'opinion des dernières semaines avaient anticipé ce phénomène, les résultats du scrutin de dimanche sont conformes aux tendances lourdes que l'on observait depuis la réélection d'Emmanuel Macron. Ces dynamiques profondes sont à l'œuvre depuis plusieurs années.

Justement, comment expliquez-vous le succès d'Emmanuel Macron en2022et son érosion assez rapide après sa réélection?

Son score élevé au second tour s'explique en partie par la succession des crises majeures pendant le premier quinquennat, qui lui ont permis, dans une logique «d'union nationale», de maintenir une coalition large, mais en réalité assez fragile et disparate. Je pense à la crise des Gilets jaunes d'abord, qui a conduit à un fort ralliement de la droite sur la liste LREM aux européennes de 2019.

Puis, bien sûr, la crise du Covid et la guerre en Ukraine qui ont prolongé cet «effet drapeau» et incité le centre gauche, la gauche modérée, le centre et la droite à voter Macron, par réflexe de stabilité. Mais depuis sa réélection, et cela a commencé très vite, on constate une érosion permanente de son électorat sur ses deux flancs, trèsinsatisfaits pour des raisons différentes.

La gauche lui reproche la réforme des retraites, la loi immigration, ses propos sur Gérard Depardieu aussi… Et la droite considère qu'il donne trop peu de gages et de marqueurs à sa famille politique depuis 2017, malgré des Premiers ministres et des ministres régaliens issus de ses rangs. Ce grand écart est de plus en plus difficile à tenir.

À LIRE AUSSI Pascal Perrineau: «La décision de Macron est solitaire, hâtive et irraisonnée»

Pensez-vous dès lors que la coalition électorale macroniste, rassemblant centre gauche, centre et centre droit, peut se maintenir à l'avenir?

L'avenir et même l'existence du macronisme comme force politique autonome dépendront de ce qui va se passer sur sa gauche et sur sa droite. À gauche, l'enjeu est de savoir s'il peut émerger une candidature sociale-démocrate, écologiste mais modérée, qui soit suffisamment forte et crédible. Si c'est le cas, cette sensibilité s'y reconnaîtra et le centre de gravité de la gauche se déplacera, vidant la partie gauche de la coalition macroniste.

De l'autre côté, la question est de savoir jusqu'à quel point le Rassemblement national va vampiriser l'espace des droites. S'il poursuit sa dynamique, il va continuer à vider la droite de la macronie. Avec cette double force centrifuge, le «centre élargi» façon Macron peinera à exister. Il risque d'être laminé entre ces deux blocs. Mais cela dépendra aussi de la stratégie et du positionnement des LR. S'ils résistent bien, ils pourraient rester une forcepivot.

Comment analysez-vous cette montée en puissance du RN, qui semble avoir siphonné une grande partie de l'électorat LR?

Le RN a progressivement récupéré l'ancien électorat de Nicolas Sarkozy, en phagocytant la droite élection après élection. Mais ce n'est qu'une partie de l'explication. Paradoxalement, Macron a aussi une responsabilité, car en séduisant le centre droit modéré, l'aile «juppéiste» en quelque sorte, il n'a plus laissé grand-chose entre les mains des Républicains. Pris en tenaille entre un centre droit macronisé et une aile conservatrice et identitaire séduite par le RN, LR s'est retrouvé avec un espace politique très étroit. On peut désormais affirmer que le RN est devenu la nouvelle droite dominante. Il a «grand remplacé» la droite traditionnelle pour reprendre sonpropre vocabulaire. Voter RN est devenu banal, non sulfureux, dans une partie croissante de la population.

Pourquoi le vote pour la droite républicaine s'est-il écroulé?

Parce qu'il est impossible de répondre à cette question simple: sont-ils dans l'opposition ou dans la majorité? Sont-ils avec Macron ou contre Macron? La rumeur Gérard Larcher Premier ministre leur a fait mal. L'électeur lambda ne comprend pas forcément les subtilités des votes à l'Assemblée nationale. Mais il comprend que LR ne fait pas tomber le gouvernement, que les LR sauventà chaque fois Macron. Dans un moment de polarisation politique si intense, le manque de clarté nuit.

À LIRE AUSSI Dissolution: Pedro Sanchez, le modèle espagnol de Macron?

Comment décririez-vous la sociologie du vote RN aujourd'hui? A-t-elle fortement évolué?

Contrairement à ce que l'on entend parfois, le RN n'est plus le parti des ouvriers, des «petit* Blancs» comme disent certains, ou des catégories populaires. C'est bien plus complexe. Le RN fait aujourd'hui plus de 30% chez les hauts revenus, au-dessus de 3000€ par mois. Ce n'est pas un parti cantonné aux classes les plus pauvres, loin de là. Son électorat est, certes, populaire, mais il est surtout âgé, très ancré dans le monde rural et périurbain, chez les petit* propriétaires. La force du RN est d'être interclassiste, d'agréger à la fois un vote ouvrier, employé, retraité, indépendant… La seule constante sociologique forte: le faible niveau de diplôme. Mais revenu et diplôme ne se recoupent pas toujours. Un ouvrier qualifié gagne souvent mieux sa vie qu'un jeune diplômé de Master qui galère.

LFI a choisi une stratégie de radicalisation qui est exactement l’inverse de la normalisation entreprise par Marine Le Pen.

La radicalisation de La France insoumise, incarnée par des figures comme Rima Hassan, a-t-elle pu selon vous provoquer un report de voix vers le RN, par réaction?

La France insoumise, par ses positionnements clivants, ses provocations verbales, contribue à maintenir sous tension un électorat conservateur et identitaire qui lui est fondamentalement hostile. Le discours radical de LFI sur les questions de société, son rapport à la nation, à la laïcité, à l'ordreentretiennent un climat de clash permanent. Les chaînes infos, notamment celle liée à Vincent Bolloré, en font leurs choux gras et cela excite une partie de la droite. Cela étant dit, LFI n'étant nullement en situation de gagner le pouvoir dans l'immédiat, je ne suis pas certain que ce soit un facteur décisif de mobilisation et de vote pour le RN. C'est plutôt une musique de fond.

Ce qui est certain en revanche, c'est que LFI a choisi une stratégie de radicalisation qui est exactement l'inverse de la normalisation entreprise par Marine Le Pen. LFI durcit tous ses marqueurs là où le RN lisse son image. Cela permet à LFI de fidéliser un socle à 10%, pas négligeable, mais cela préempte toute possibilité future d'élargissem*nt et d'alliances. LFI s'estcoupée du reste de la gauche réformiste dont elle aurait pourtant besoin pour gagner un jour. C'est une impasse.

Pensez-vous qu'Emmanuel Macron peut réussir son pari avec cette dissolution surprise de l'Assemblée nationale?

Honnêtement, il est difficile de faire des pronostics sans sondages ni projections en sièges. La situation est inédite sous la VeRépublique. Soit Macron mise sur une forte polarisation du second tour des législatives en une multitude de duels Renaissance-RN. Il peut espérer qu'en l'absence de candidats de gauche dans la plupart des cas, les électeurs de gauche se reportent massivement sur les candidats Renaissance, par réflexe «front républicain» pour faire barrage au RN. Je n'y crois qu'à moitié.

Le barrage au RN n'est plus ce qu'il était. Soit Macron mise sur une alliance Renaissance-LR qui serait arithmétiquement majoritaire à l'Assemblée, Les Républicains devenant un parti pivot incontournable.

Mais attention, rien n'est moins sûr, car une partie des députés LR sont élus dans des circonscriptions très à droite, face au RN. Ils ne pourront pas s'allier à Macron sans se mettre en danger pour leur réélection à moyen terme. LR va probablement éclater entre une aile prête à la coalition avec le centre et une aile droitisée rétive.

Le front républicain existe-t-il encore?

Non, il est mort. Mais il n'existait déjà plus vraiment en 2022. Certains électeurs Renaissance ont préféré voter RN contre la Nupes… La question essentielle est la suivante: peut-il y avoir une majorité dans la future Assemblée nationale? J'attends de faire des sondages pour le savoir.

Quel est le scénario le plus probable?

Qu'il n'y ait pas de majorité claire à l'issue des législatives. Ni le RN, ni Renaissance, ni aucune des coalitions envisageables n'atteint la majorité absolue des sièges. On entre alors dans une forme d'inconnu, la France découvre en accéléré le parlementarisme, la nécessité de coalitions de circonstance, texte par texte, la recherche permanente de compromis… Ce sera surprenant pour un pays habitué au fait majoritaire et au pouvoir vertical.

Dissolution : « L’absence de majorité claire est le scénario le plus probable » (2024)

References

Top Articles
Latest Posts
Article information

Author: Msgr. Refugio Daniel

Last Updated:

Views: 5820

Rating: 4.3 / 5 (74 voted)

Reviews: 81% of readers found this page helpful

Author information

Name: Msgr. Refugio Daniel

Birthday: 1999-09-15

Address: 8416 Beatty Center, Derekfort, VA 72092-0500

Phone: +6838967160603

Job: Mining Executive

Hobby: Woodworking, Knitting, Fishing, Coffee roasting, Kayaking, Horseback riding, Kite flying

Introduction: My name is Msgr. Refugio Daniel, I am a fine, precious, encouraging, calm, glamorous, vivacious, friendly person who loves writing and wants to share my knowledge and understanding with you.